Vous ai-je déjà parlé de Richard Corben ? Je ne crois pas et pourtant voilà un auteur que j’affectionne particulièrement. D’abord parce que je lis ses livres depuis l’adolescence et puis parce que c’est un auteur qui s’investit tellement dans ses créations que cela en devient fascinant pour moi. C’est donc le bon moment de s’intéresser à lui puisqu’il y a peu de temps est sortit Ragemoor chez Délirium, un excellent album a l’ambiance bien « Creepy » comme Corben les aiment et qu’il a conçut avec l’aide de l’un de ses acolyte de toujours, Jan Strnad. Une association qui fonctionne toujours, quelques 30 années après les mythiques albums Les mille et une nuits et Monde mutant.
Bon en fait je l’avoue, l’album que je chronique aujourd’hui est avant tout une excuse pour vous parler de cet auteur hors norme !
Les sorties d’album de Richard Corben sont très rares et c’est forcément un petit événement de voir débarquer deux albums coup sur coup, Eerie & Crepy présentent Richard Corben d’abord, un recueil de mini-récit d’horreur réédité suivit de Ragemoor une création originale et un retour que l’on attendait depuis un bail. Mr Corben se fait rare mais heureusement grâce à l’éditeur Délirium, vous allez pouvoir découvrir cet auteur atypique, peu connu – peu mis en avant du moins – et pourtant talentueux au possible. Le domaine de prédilection de Richard Corben c’est le fantastique, l’horreur, la science-fiction avec ce petit soupçon d’érotisme toujours bienvenue mais jamais malsain. Voilà pourquoi il n’est pas étonnant de le voir, tout au long de sa carrière, adapter des récits d’Allan Edgar Poe – La chute de la maison Usher par exemple -, de H.P Lovecraft ou le voir publié dans des magazines fondateurs de nouvelles tendances tels que Métal Hurlant ou encore USA Magazine (Spécial USA auparavant). Il a réalisé bon nombre d’albums considérés comme des modèles du genre avec, entre autre, Rowlf en 1971 (renommé Rolf chez Les Humanoïdes Associés ), assurément l’un de ces chefs-d’œuvre accomplit seul puisque le scénariste Harvey Sea ne serait en fait qu’un pseudonyme emprunté par Corben lui-même. Dans les albums les plus remarquables on peut citer Den (une saga reconnue comme l’une des plus aboutie par son lectorat), Ogre, Bloodstar – adapté d’une nouvelle de R.E Howard en 1976- que Corben considère comme sa création majeure, ou encore Vic et Blood, le Temps déchiré et bien d’autres qui méritent d’être redécouvert. Anticonformiste de génie, Corben va peser autant sur le comics dit « underground » que sur le « mainstream » en travaillant avec des auteurs comme Mike Mignola (sur Hellboy), Brian Azzarello (sur Hellblazer), Garth Ennis (Punisher: the end) ou encore en étant a l’origine d’adaptations comme celle de Swamp Thing (3 épisodes publiés) avant qu’Alan Moore ne popularise le personnage. Richard Corben est un touche a tout génial qui se pose souvent là où on ne l’attend pas. Et a ce sujet il réalisera même en 1990 une aventure des Tortues Ninjas scénarisé une fois de plus par le l’excellent Jan Strnad. En France, cette histoire a été publiée sous le titre « Les tortues prennent le temps » dans le USA Magazine HS-N°5 de juin 1991 que j’ai retrouvé il y a peu de temps dans ma bibliothèque (voir photos dans la galerie plus bas).
Si ses premières planches sont en noir et blanc, Richard Corben se distingue rapidement par une mise en couleur spectaculaire, obtenue par un emploi judicieux de l’aérographe pour un rendu quasi photographique. Comme souvent avec les auteurs qui utilisent et maîtrisent la mise en couleur directe Corben réalise le prodige d’obtenir sur un support 2D un rendu quasi holographique. Mais l’aérographe c’était avant, car le monsieur évolue avec son temps. Dans les années 70, il modelait ses personnages grâce à la glaise et ceci afin, essentiellement, d’analyser les effets de lumières appliqués sur ses personnages et choisir le profil le plus spectaculaire. Il utilise aujourd’hui l’informatique, la modélisation 3D et autre palette graphique. Lui qui vient du monde de l’animation, il ne renie pas ses origines ! Richard Corben est un bourreau de travail, même s’il s’en défend en affirmant qu’il préfère le noir et blanc avant tout parce que cela demande moins de travail… L’homme reste modeste. Le Noir et blanc, revenons-y car la façon qu’il a de travailler sur les nuances de gris est loin d’être de tout repos. De la même manière que pour la couleur, il joue sur le nombre de nuances pour obtenir ces effets de relief. Le problème est que cette technique pose pas mal de contraintes à l’éditeur qui doit non seulement faire preuve d’un soin extrême lors de l’impression mais aussi choisir un papier de qualité supérieure sous peine de perdre toute la subtilité du travail de l’auteur. C’est d’ailleurs peut-être ce qui a conduit Richard Corben a créer, pour un temps du moins, sa propre maison d’édition, Fantagor Press.
Graphiquement son style tient plus de la peinture que du dessin pur et dur. Il a aussi la particularité de représenter très souvent ses personnages dans le plus simple appareil en attribuant aux hommes des organes de bonnes tailles… et aux femmes des formes très pulpeuses – le mot est faible – et c’est peut-être aussi pour cela que ça me plaisait tant lorsque j’étais gamin… je sais pas trop ! Bref, Corben rend hommage au corps humain, vouant un culte aux proportions généreuses et aux formes sculpturales. Je vous reparlerais de cette particularité lors d’un prochain article sur Den. Mais aujourd’hui j’ai dit que je vous parlais de Ragemoor !
Ragemoor ! Vestige de civilisations disparues, le Château de Ragemoor est un lieu maudit pour les hommes ! Nourries de sang païen versé au cours de sacrifices rituels impies depuis des temps immémoriaux, ses pierres cachent de sombres et terrifiants secrets, fatals aux rares inconscients qui seraient prêts à s’y aventurer… Herbert Ragemoor est le maître du château. Il vit dans l’isolement, fidèlement servi par Bodrick, le majordome, tandis que son père, complètement fou, erre dans les couloirs qu’il parcourt en hurlant, nu. Jusqu’au jour où vient leur rendre visite l’ambitieux oncle JP, accompagné de sa superbe fille Anoria, qui rêve de s’approprier les lieux…[synopsis éditeur]
Jan Strnad a trouvé le moyen, une fois encore, d’exploiter tout le potentiel graphique de Richard Corben en proposant un scénario se déroulant presque exclusivement à l’intérieur de ce fameux château si lugubre. Le décor est posé et l’ambiance bien angoissante monte au fur et à mesure que les pages se tournent… presque d’elles-mêmes ! Ici pas d’effusion de sang, pas de monstres hideux bavant de l’acide ou tout autre sécrétion, car c’est bien le bâtiment en lui-même qui vous file des frissons. Le château de Ragemoor n’est ni plus ni moins qu’une entité vivante qui ne cesse de réagir aux décisions de son maître et qui possède également une forme de conscience. Plus mystérieux que cela encore, des êtres singuliers peuplent les profondeurs de la forteresse…
Et encore une fois, Richard Corben dans son style inimitable, fait des merveilles et propose des planches fabuleuses de réalisme. Retour à ses premières amours, les nuances de gris, les textures et l’encrage vous en mettent plein la tête. Le tout vous est livré dans une édition de qualité comme sait si bien le faire Délirium. Nous avons donc droit à des planches plus grandes que l’édition Américaine originale, ainsi que la retranscription d’une interview des auteurs. Voilà un album magnifique que vous ne manquerez d’acheter sous aucun prétexte si vous êtes déjà fan de Richard Corben mais qui peut également convaincre un nouveau lectorat féru d’histoires fantastiques. Un must pour moi !
Richard Corben et Jan Strnad sont un peu les Stan Lee et Jack Kirby de la bande dessinée fantastique, auteurs notamment de classiques tels que Les Mille et Une Nuits ou Mondes Mutants. Les voir à nouveau réunis sur un tel projet est un évènement incroyable !
Mike Mignola (Hellboy)A visiter : The making of Ragemoor by Richard Corben sur le site Comicmonsters.com
A visiter : Le site officiel de Richard Corben. corbenstudios.com